Les artistes urbains sont éphémères, c’est la loi du genre.
Mais quand c’est un musée, en l’occurrence le Moca (Museum of Contemporary Arts) de Los Angeles qui fait recouvrir une fresque murale dont il est le commanditaire, ça fait tache.
Début décembre, l’un des street artists les plus en vue, le discret Italien Blu, a investi le mur nord du Geffen Contemporary, aile du Moca, avec une peinture monumentale sur trois étages et large comme un stade de foot alignant des rangées de cercueils drapés de billets verts. Quelques heures plus tard, sur ordre du directeur du Moca, elle disparaît sous une peinture blanche.
Jeffrey Deitch, premier marchand d’art (il possédait une galerie à New York) à devenir, en juin, directeur d’un musée américain majeur, justifie sa décision par la volonté de ne pas heurter les sentiments de la communauté locale. La fresque antiguerre était adjacente à un hôpital de vétérans et un mémorial de guerre dédié aux soldats nippo-américains, a-t-il expliqué au Los Angeles Times, admettant qu’il n’était pas informé des intentions de l’artiste, les deux hommes n’ayant pu se rencontrer au préalable.
Cette commande à Blu devait servir de bande-annonce spectaculaire à «Art in the Streets», une exposition de graffiti et de street art prévue pour avril. Les réactions ne se sont pas fait attendre. A quelques blocs de là, un street artist anonyme a collé un poster du directeur du Moca en ayatollah armé d’un rouleau de peinture blanche avec en arrière-plan les cercueils de Blu.
Shepard Fairey, figure du milieu, déclare : «Je ne suis pas un fan de la censure. C’est bien pour ça que moi et d’autres artistes de l’exposition avons choisi le street art, parce qu’il est démocratique et qu’il n’y a pas de bureaucratie. Toutefois, un musée est un contexte différent avec des préoccupations différentes. La situation est regrettable mais je comprends la décision du Moca», dit l’artiste, autrefois représenté par la galerie new-yorkaise de Deitch.
Blu, qui décline systématiquement les demandes d’interview, a cette fois répondu au journaliste du LA Times : «C’est une censure qui a même failli tourner à l’autocensure quand ils m’ont demandé de soutenir publiquement leur décision d’effacer la fresque. En Union soviétique, ils appelaient ça de l’autocritique.» Blu a décliné l’invitation du Moca à peindre une autre fresque par-dessus l’ancienne «invitant le public à venir au musée», ajoutant que «de nombreuses personnes y compris des vétérans de la guerre aimaient la peinture murale, et trouvaient qu’elle disait la vérité».
En attendant, un artiste anonyme de L.A a peint sur un mur le directeur du MOCA façon ayatollah armé d'un rouleau de peinture blanche, devant une reproduction de l'oeuvre de Blu.
Le 3 janvier, des street artistes accompagnés d’une poignée de vétérans se sont retrouvés la nuit sur le parking du Geffen pour une performance de soutien à Blu. La vingtaine d’activistes, armés d’un projecteur et d’un pistolet laser fait maison, ont pris d’assaut le fameux mur, projetant des graffitis de lumière comme «rendez-nous nos murs», ou «la guerre est-elle finie ?»